La marne et les Marneurs

Le Pays de CAUX a défrayé de nombreuses fois la chroniquedes journaux avec ses marnières qui s'effondraient. Mais qu'est-cequ'une marnière ? Qui étaient les hommes qui travaillaientdans ces marnières ? A quoi servait la marne extraire ? Quelquesquestions pour lesquelles nous allons tenter d'apporter des réponses.

Nous voyons encore parfois ces blocs crayeux épandus dans lacampagne.

Il faut savoir que la marne est une roche argilo-calcaire et le seulamendement connu autrefois dans nos régions. Notons qu'un autreamendement naturel a fait l'objet de commerce et d'extraction jusqu'àson épuisement : le guano, mais c'est une autre histoire.

Les effets de la marne sont multiples : alléger les sols, décomposerle fumier en humus, et diminuer l'acidité des terrains. Les blocsde marne sont épandus avant l'hiver, les gros étaient brisésà l'aide de masses. Le gel enfin faisait son office, car les blocsgorgés d'eau se pulvérisaient et se mélangeaient àla terre " ça pouchinait au remeuil ".

Le marnage était inscrit dans les baux. Dans un bail de 1748on trouve : " Le fermier n'est tenu qu'à aider à porter lamarne et à l'épartir. C'est au propriétaire àla faire extraire et charger s'il veut amender sa terre ". Plus tard, c'estune équipe de marneurs qui sera engagée par le fermier pourcreuser une mâliée sur sa terre et ainsi extraire le.

La première opération consistait à mettre en placeun moyen d'extraction de la marne au dessus du puits. Le maniement de cetreuil était confié à l'apprenti qui manuellementou avec l'aide d'un cheval, remontait les blocs arrachés au sous-solpar les marneurs du fond. La quantité de marne était mesuréeà l'aide de la " gamelle " qui servait au forage (50 litres) oucelle utilisée pour le transport (100 litres). Les témoignagesévoquent une quantité de 2 m3 par homme, extraitesur une journée.

Les outils

Les outils ont peu changé au cours du marnage. Ils se composentd'un pic avec un manche d'environ 60 cm (souvent en coudrier) dont le fermesure une cinquantaine de cm, de la pelle également avec un manchecourt, d'un burin et d'une massette (pour percer les roches).

Le puits

Une fois le lieu choisi pour creuser (plutôt sur une butte et ausoleil), la couche végétale est enlevée avec une bêcheassez facilement. On trouve ensuite le tuc qui est un mélange d'argileet de silex très compact et surtout très collant. Cette couche,qui est assez épaisse et peut dépasser les 6 mètres,est dure à manipuler malgré le pic.

Ensuite on trouve le mouvant de cailloux qui est une couche de gravierslibres qui joue un rôle important pour la marnière (aération)mais qui présente un grand danger et nécessite un étayagefort. C'est sous ce mouvant que l'on trouve la marne.

C'est donc à partir de ce moment là qu'il faut commencerà prendre des précautions importantes au fur et àmesure que le marneur descend; il faut étayer solidement les paroispour éviter les éboulements. Pour cela, le marneur cerclele puits avec une espèce de corbeille sans fond faite de gaulettesentrelacées sur des cliches. Cette corbeille s'allonge avec la profondeurdu puits.

Quand la couche de marne est atteinte, le marneur descend de quelquesmètres afin d'avoir une voûte solide qui permettra de creuseren horizontal les galeries et les chambres.

Parfois les marneurs tombaient sur du grès qu'il fallait alorstraverser avec les masses et les burins. Cela pouvait prendre plusieursheures. Notons que le grès était utilisé dans la constructionet pour le bornage.

L'extraction

L'ouverture des galeries dans la paroi du puits s'appelle l'oeillardage.Ensuite on passe au chambrage. Pour chambrer il faut s'enfoncerhorizontalement sous terre en pratiquant une série de chambres soutenuespar un gros pilier carré au milieu.

La marne extraite à l'aide du pic est mise dans une gamellede 100 litres qui est à son tour transportée à l'aided'une brouette jusqu'au puits où l'on échangeait la gamellepleine contre une autre vide.

Les hommes se répartissaient le travail au pic, à la brouetteou à l'extérieur à la manoeuvre du treuil et au déchargement.

Pour descendre ou remonter, les marneurs tenaient le câble dutreuil et s'installaient debout les pieds sur les anses de la gamelle.

Les dangers

Parfois un banc de marne pouvait se décoller et s'écrouler.Aussi le marneur sonde la voûte en tapant légèrementet écoute si cela sonne creux. Si c'est le cas, il décollepar un coin le banc.

L'autre gros souci est celui du manque d'air. Si la marnièren'est pas située sous une roche dure comme le grès, l'airarrive par le mouvant de cailloux et il n'y a pas de problème. Parcontre, en cas de présence de grès (cas des marnièrespoussives), il ne faut pas rester trop longtemps car les poumons peuventse bloquer.

Comme les hommes étaient payés à la tâchebeaucoup travaillaient malgré les dangers d'éboulement oud'asphyxie; aussi toutes les astuces possibles étaient employées,jusqu'à mettre en route un compresseur d'air ou des bouteilles àoxygène à une époque plus récente.

Les marneurs ont connu leurs drames et l'on pourrait malheureusementrapporter des exemples multiples.

Aujourd'hui

Les marneurs appartiennent au passé. Même si la marne esttoujours épandue sur les champs, elle provient aujourd'hui de carrières.

Il reste ces marnières plus ou moins protégéeset plus ou moins connues, dont les trous soufflent ou aspirenten fonction de la pression atmosphérique extérieure puisquela marnière équilibre naturellement sa propre pression.